février 20, 2023

La Loi du Marché (2015)

Si j’ai décidé d’aller voir ce film ce n’est pas pour le prix reçu par Vincent Lindon à Cannes mais plus pour les différents synopsis sur le film, aussi vagues qu’intrigants. Je n’ai vu aucune bande annonce avant de me déplacer en salle, ne me suis nullement renseigné sur le film. Bref, j’y suis allé complètement vierge. Et je n’ai pas été déçu. Mais c’est bien plus la forme que le fond qui m’a plu. Sans compter que, selon moi, La loi du marché conserve quelques clichés naturalistes spécifiques au cinéma français.

Thierry [Vincent Lindon] est un homme comme il en existe des milliers dans la France d’aujourd’hui : la cinquantaine, chômeur de longue durée, à la recherche active d’un emploi. Il est également marié et père d’un adolescent handicapé. Au terme de recherches acharnées, il va finir par trouver un emploi d’agent de sécurité dans un supermarché. Fonction qui va durement mettre à l’épreuve sa morale et ses principes.

Au diable l’intrigue

Maintenant que l’on a passé la case obligatoire du pitch qui n’apporte pas grand-chose, nous pouvons entrer dans le vif du sujet.

Récemment j’écoutais Daniel Picouly venu sur Europe 1 faire la promotion de son dernier ouvrage. Il expliquait notamment qu’il avait découvert que son grand-père n’avait jamais fait la Première Guerre mondiale alors qu’il était considéré comme un héros des champs de bataille, dans sa famille. A la suite de cette anecdote, Picouly finit en disant : « Toutes les histoires de vie sont exceptionnelles, tout dépend comment on les raconte ». C’est exactement ce à quoi j’ai pensé en regardant La loi du marché. L’histoire est somme toute banale, il n’y a pas un milliard de rebondissement mais la façon de présenter le film est, d’après-moi, excellente.

Tout d’abord, le premier élément qui m’a sauté aux yeux c’est qu’à aucun moment du film on ne connait le nom des autres personnages importants. Thierry est au centre de tout. On a bien des noms d’employés du supermarché, ici et là, mais on ne les retient pas car c’est inutile. Même la femme du protagoniste [Karine de Mirbeck] ou son fils [Matthieu Schaller] ont des noms inconnus. Si Thierry est le centre de tout cela se voit également dans la manière de filmer. Sans avoir un point de vue totalement subjectif (c’est-à-dire voir le film avec les yeux de Thierry) on se retrouve bien souvent derrière Thierry, découvrant quelques secondes après lui l’espace/les éléments qui lui font face (surtout dans les plan-séquences). Enfin, on remarque également que certains personnages en « oppositions » avec Thierry sont invisibles comme si l’on voulait les balayer du paysage sans pour autant nier leur présence. Je pense essentiellement à l’entretien via Skype, filmé de côté, de telle sorte que l’on ne voit que Thierry assis sur sa chaise et pas le recruteur sur l’écran. Il en va de même pour bien d’autres moments comme la formation de groupe à pôle emploi ou son apprentissage dans la salle de surveillance vidéo du supermarché. C’est un parti pris qui semble évident mais qui n’en est pas moins audacieux. Je n’ai pas de compétence technique dans le domaine mais j’imagine qui cela doit être assez compliqué de s’en tenir à cette manière de filmer sur une heure trente, sans jamais perdre ou ennuyer le spectateur.

Le deuxième élément qui, pour moi, fait tout le sel du film, c’est le suspens qui émane d’instants pourtant sans relief. Lors de la scène de vente du bungalow, on se surprend à retenir son souffle en espérant que Thierry pourra réussir à vendre son bien. Idem pour la scène d’entretien Skype ou  toutes celles concernant le visionnage vidéo et les flagrants délits au supermarché. Il faut bien comprendre que dans La loi du marché, il n’y a pas une grande intrigue qui nous conduit tout droit vers un climax mais plutôt une multitude de petits instants avec leurs climax propres. Et c’est très agréable en plus de rythmer l’action.

Le troisième et dernier élément se situe dans la rupture que j’observe au milieu du film. Il y a, pour moi, un premier film qui est la recherche d’emploi et un second sur le quotidien au supermarché. Si le principe de focus sur Thierry reste le même, on se rend compte néanmoins qu’il devient un peu plus objet dans la seconde partie de l’histoire. Sans dévoiler quoique ce soit, il subit clairement l’action au supermarché, il est en position de faiblesse. Dans la première partie, après chaque scène d’importance, comme la visite chez la banquière ou la querelle avec les collègues syndiqués, on retrouve Thierry seul, en action : à bricoler, à faire la vaisselle, à laver son fils. Dans la seconde partie il devient mou et impuissant face au mécanisme du supermarché dont il est lui-même l’un des rouages. Cette dichotomie est brillamment et subtilement amenée.

Les limites du naturalisme français

Je viens de vous expliquer pourquoi, de mon point de vue, La loi du Marché est un bon film. Je ne suis pas certain pour autant que ce soient les mêmes raisons qui font que c’est un film apprécié par le public.

La sympathie que l’on porte au film de Stéphane Brizé doit beaucoup à son côté réaliste et au pathos que l’on pourrait desseller entre les lignes. Après tout, on parle d’un quinqua au chômage à l’heure où, dans la vraie vie, la France est en proie à une vague de chômage sans précédent. Sans compter que notre personnage principal a un enfant handicapé ce qui rajoute à la tragédie. Bref, le personnage de Thierry incarne à lui seul la souffrance, le mal-être français, ce que le public peut apprécier. Ce n’est pas un point négatif en soit et le réalisateur n’y peut pas grand-chose, mais ce décor devient préjudiciable quand on lui accole d’autres clichés en sus.

Je m’explique. Combien de fois a-t-on parlé du cinéma français comme un cinéma suivant le réalisme littéraire d’un Balzac ou le naturalisme d’un Zola. Coller le plus près possible à la réalité n’est pas un mal, bien au contraire. Cela devient préjudiciable quand c’est une fin en soi. Je ne pense pas que l’on soit en présence d’un tel cas avec La loi du marché, mais il y a certaines scènes qui m’ont paru facultatives comme le rendez-vous chez le proviseur pour parler des notes du fils de Thierry. A aucun moment on ne s’intéresse à ce garçon dans le film et d’un coup il faudrait que l’on s’inquiète de savoir s’il pourra ou non passer en Terminale S. Non. On s’en moque. Pareil pour la scène du pot de départ à la retraite. Scène que j’ai personnellement trouvée grotesque. Parce qu’en plus d’être inutile, elle met (comme dans de nombreux films français) en avant une classe paupérisée de façon un peu ridicule. Une jolie chanson chantée par des caissières où il est question de pâté (parce que les pauvres ça adooore le pâté !), suivi du discours du manager du supermarché semblable à un bourgeois perdu au milieu des sans-culottes. Les Français ont toujours été bons pour faire de la sociologie en littérature. D’aucuns disent que Zola est, malgré lui, l’un des premiers et des meilleurs sociologues français. En revanche, quand il s’agit de transposer ce talent au cinéma, le résultat est loin d’être le même.

Cela étant dit, il faut préciser que ce n’est pas ce qui domaine dans ce film. Seuls un ou deux facteurs nous rappellent ce travers.

En sommes : La loi du marché est un bon film qu’il faut voir.

https://www.youtube.com/watch?v=ylzQSOom7wo

SPOILERS EN APPORCHE

La Scène : On pourrait l’intituler « zéro culpabilité ».

Il s’agit d’une scène qui intervient dans le dernier quart du film lorsque le manager du supermarché [Saïd Aïssaoui] convoque les employés en présence du DRH pour parler du suicide de Madame Anselmi [Françoise Anselmi], anciennement caissière. Le DRH [Guillaume Draux] explique au personnel qu’il n’a pas à se sentir coupable après que le manager a précisé qu’Anselmi avait des problèmes personnels en déballant, sans pudeur, la vie privée de la défunte (fils drogué etc.).

Cette scène est prenante parce qu’elle est le résultat d’une ellipse cruciale. Deux ou trois scènes auparavant, on retrouve Thierry, le manager, un agent de sécurité et Madame Anselmi dans la petite salle « d’interrogatoire » du magasin. Madame Anselmi est accusée d’avoir volé des coupons de réduction qui étaient à l’abandon sur sa caisse. Le manager lui explique qu’il n’a plus confiance en elle et lui demande qu’elle solution ils peuvent envisager. La scène reste suspendue et se termine sur cette question. Pendant plusieurs minutes le spectateur lui-même se demande ce qui a bien pu arriver à cette pauvre caissière, bien que l’on s’imagine aisément qu’elle a été virée. Finalement, la scène du DRH nous apporte une réponse indirecte : elle a surement été virée et face au désarroi du chômage, elle s’est suicidée. La scène est un choc car le DRH n’annonce pas tout de suite quel est le centre du sujet, il laisse un suspens avant de faire tomber le couperet. Il est clair que ce qui s’est passé au supermarché est la cause directe de ce suicide mais, le manager, qui apparaît clairement comme un lâche ici, se dédouane totalement.

La Réplique : « Combien peut-on mettre de gouttes d’eau dans un verre vide ? »

C’est un moment infime et sans grande importance dans le film. Une scène de vie de famille classique à table. Pourtant il y a quelque chose de touchant dans cet instant. Déjà, on essaye tant bien que mal de comprendre ce que dit l’adolescent. Grâce aux parents on saisit qu’il nous propose une énigme. On cherche avec les parents, on s’agace légèrement, comme le fait le père d’ailleurs. C’est typiquement le genre de réplique qui reste après un film. C’est un peu leur « pas de bras, pas de chocolat ». Sans compter qu’on peut ressortir cette énigme à des amis qui n’ont pas vu le film. Ça les fera cogiter quelques minutes.

La Performance : Y avait-il d’autres choix possibles que celui de celui de Vincent Lindon ? Non. Mais cela n’enlève rien à sa prestation. Etre de tous les plans, sans que l’on en ait marre de votre visage à la fin, est déjà une prouesse en soi. Sans compter qu’il semble être contraint à jouer sur un ton monocorde : un homme taciturne qui cède parfois à la colère. Pourtant, il y a des nuances dans son jeu qui donnent plus de relief à son personnage. Il n’a pas volé son Prix d’Interprétation à Cannes.

La singularité : C’est la seule caractéristique que je connaissais avant d’aller voir le film : Stéphane Brizé a utilisé des non-acteurs, notamment pour les rôles dans employés du supermarché. Cela rejoint ce qui a été dit plus e amont su le réalisme à la française. Je ne sais pas si cela apporte fondamentalement quelque chose au film mais c’est surtout un défi supplémentaire pour le réalisateur. Et c’est à saluer.

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